"Madaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaame"

« Madaaaaaaaame », « Madaaaaaaaaaaame », ... « Ma-daaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaame »

Mr H. est là, Mr H. va manifestement bien, Mr H. commence sa journée.

Ancien médecin et vieux garçon, cet intellectuel de 93 ans nous a rejoints récemment. Habitué à ne vivre que selon ses propres envies et besoins, Mr H. vit selon le principe du « Tout, tout de suite, pour moi, tout seul ». Il demande une présence constante à ses côtés afin de se sentir rassuré. Dès qu’on ne la lui accorde plus, il se met à hurler un sempiternel « Madaaaaaaaaaaaaaaaaaaame » qui a le don de m’irriter les tympans et les nerfs, …  au plus haut point.

En chaise roulante suite à un AVC, il est tout à fait capable de se déplacer seul dans la Résidence, mais étrangement, … ses roues ne le conduisent quotidiennement QUE vers le bureau de l’accueil.

« Madaaaaaaaaaame », « Madaaaaaaaaaaaame », … « Ma - daaaaaaaaaaaaaaaaame »

« Oui Mr H., que puis-je faire pour vous ? » finit par répondre la jeune fille de l’accueil

« Je suis docteur, Madame, … mais je deviens bête. Je ne sais plus rien »

« Ce n’est pas trop grave ça Mr H. Vous ne devez plus travailler comme médecin maintenant»

« Oui mais je deviens bête. C’est terrible vous savez ?»

« Mais non vous n’êtes pas bête, … vous avez juste des petits trous de mémoire, c’est tout » tente-t-elle de le rassurer.

« Madaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaame » 

« Oui Mr H. je suis là, il ne faut pas crier, je vous entends très bien »

« Madame, … je suis perdu. Je ne sais pas ce que je dois faire »

« Vous pouvez aller au jardin d’hiver et faire des coloriages. Ou aller dans le salon « télévision » ? Ou dans votre chambre regarder une émission ? Vous pouvez également attendre dans la véranda que je distribue l’apéritif. Que préférez-vous ? »

« Je veux regarder la télévision » 

La jeune fille le conduit donc dans le petit salon télévision. Elle opte pour le journal parlé et l’installe devant le poste. Sitôt les talons tournés, Mr H. se remet à hurler. 

« Oui Mr H. je suis là, qu’est ce qu’il y a ? » lui demande-t-elle, un peu agacée.

« Madame, je ne comprends pas »

« Vous voulez que je mette le son plus fort ?»

« Non, je ne comprends pas ce qu’il se passe, je ne comprends plus rien »

Et le voilà qui lève la tête, plonge son regard bleu dans ses yeux et s’époumone un « Au secouuuuuuuuuuuuuuuuuuurs » à n’en plus finir.

« Mr H., je suis là, ne criez pas s’il vous plait. Que voulez vous ? »

« De l’arsenic, donnez moi de l’arsenic, s’il vous plait, je veux de l’arsenic. Aideeeeeeez-moi » 

…

Que peut-on répondre à cela ? Comment peut-on soulager le mal-être de cet homme ?

…

Mr H. est un résident face auquel je me sens totalement démunie. Je me trouve face à une souffrance que je ne sais comment atténuer et, inversement, ses hurlements, émis sur une fréquence que mon cerveau ne peut supporter, provoquent un agacement immédiat qui m'impose un important self-control pour réussir à lui parler d’une voix aimable, posée et, malgré tout, … crispée !

Comments

[anémone]

Courage Florence. Ton texte très beau a su en même temps faire passer la détresse de cet homme, insupportable à lui-même et aux autres, et lui rendre sa dignité . Merci.

[A-thena]

Merci ;-) Oui, ce n'est pas toujours simple, ni pour nous, ni pour les autres résidents, de le côtoyer au quotidien ! On doit d'ailleurs surveiller que ses colocataires ne soient pas violent ou insultant à son égard !

[Cathy]

Le cerveau est une "machine" infiniment complexe. Après un AVC, il est bien rare que la pensée ne soit pas altérée. La situation de cet ancien médecin doit être difficile pour lui aussi, car il y a toujours des instants - aussi brefs soient-ils - de lucidité entre les phases décrites ici. Une fois encore, c'est la patience qui s'impose, mais je comprends parfaitement que l'agacement survienne. Cet homme est comme un enfant que l'on ne sait contrôler.

Bon courage, Florence.



Cathy.

[A-thena]

Oui, sa situation est terrible et terrifiante. Il est bien malade d'Alzheimer, et se trouve dans la phase la plus délicate, celle où il se rend compte de son état et de ses lacunes. La seule chose qu'on peut lui souhaiter est peut être de passer à la phase suivante, de vite oublier et de ne plus s'en rendre compte.

Certains vivent cette phase dans l'angoisse, d'autres dans la colère. Nous les voyons jour après jour perdre un peu plus de leur identité et nous ne savons pas toujours comment y faire face et comment répondre à leurs interrogations et angoisses.

Peut être est ce justement ce doute qui nous fait avancer ...

[apolline au fil]

Merci pour ton blog!! Merci de partager ces moments avec nous. Je fais partie d'une

association d'acccompagnement en fin de vie et malgré ma formation d'infirmière et la

formation très complète de l'association, j'ai des moments de doutes quant à "mes

réponses" face a certaines personnes; hormis reformuler et ecouter, on ne peut pas avoir réponses à tout; être sincère et vrai me semble être le plus important...

Je t'embrasse, Apolline