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Un monde en soi
2 février 2013

Les larmes familiales

Etre témoin de la souffrance des familles face à la perte du parent,  ... je ne m’y habitue pas. Le décès de Mme G. était deviné depuis deux jours, préparé, annoncé. Il s’est produit en douceur, dans la quiétude de la chambre, en présence, en partie, de la famille. Pas de souffrance, pas de solitude, juste un sommeil qui s’éternise. En soi, ... son départ fut « parfait » (pour peu que cela existe). Un départ espéré par bien des pensionnaires, mais rarement vécu. La souffrance et la solitude sont généralement omniprésentes.

Les proches devraient être présent le bon jour, au bon moment, à l’instant I, mais rares sont ceux qui le vivent, qui le comprennent à temps. Même si le cancer est connu, le diagnostic posé, le pronostic appris, peu sont prêts à accepter le départ de l’être aimé.

Les enfants de Mme G. ont essayé d’être là, près d’elle. Habitant à l’étranger, l’une de ses filles a su arriver à temps. Pour l’autre, il ne restera que le souvenir et ce sentiment de culpabilité, injustifié, face à son retard au chevet de sa maman, face à son absence.

desespoir

Leur souffrance est difficile à voir, à observer, et à accompagner. Elles sont perdues, déboussolées, tristes, … malheureuses. Elles se sentent seules tout d’un coup. Abandonnées de leur maman, de leurs racines. Orphelines … à plus de 60 ans !

Trop tôt, c’est toujours trop tôt !

L’acceptation doit se faire rapidement afin de pouvoir faire face aux démarches administratives, à l’organisation de l’enterrement. Elles doivent téléphoner, prévenir les proches, réorganiser leur planning, leur vie et leur moi intérieur. Elles nous tendent la main, nous demandent de les aider, sans un mot, par un regard empli de panique ... « Dites moi ce que je dois faire maintenant ! ».

On leur parle, on les écoute, on leur propose une tasse de café, leur explique le déroulement des événements à venir, quand les pompes funèbres vont arriver, quelles étapes elles vont vivre, quelles décisions elles doivent prendre. On demande à la psy de l’établissement de passer du temps avec elle … elle le fait, … et la famille nous remercie, … et nous redemande de l’aide, du soutien, dès le lendemain.

La nuit n’a pas effacé leur chagrin, elle n’a fait que souligner la réalité de  la solitude.

Une visite dans la chambre, des papiers à récupérer, des bijoux à serrer entre les mains, une tenue à choisir. Une tenue pour accompagner leur maman lors de son dernier voyage. Un chemisier offert par une petite fille, ... une jupe sobre, ... un gilet pour ne pas qu’elle ait froid. Froid ? ….

Elle est déjà froide, couchée sur un lit de glace à la morgue.

Et cependant, elles ne peuvent s’empêcher d’encore veiller à son confort. Non, c’est sur, ... elles n’ont pas encore intégré son départ.

« Au revoir maman » lui disent-elles en sortant de la morgue, en effleurant, du bout des doigts, le drap qui lui couvre le corps … Et moi qui suis là, qui leur tiens la porte, qui les entends, qui les vois, qui les ressens. Les larmes montent, je regarde ailleurs, ... ne pas craquer, surtout ne pas craquer, … ce n’est pas MA maman, c’est la leur … Nous devons être fort pour pouvoir les aider et les soutenir.  Nous devons tenir. Mais d’un autre côté, ... les familles ne se sentiraient-elles pas soulagées de nous voir ressentir autant d’émotions pour leur parent ? De comprendre qu’ils ne sont pas que des « numéros de chambre », des « résidents », ... des … « clients » ? Ne seraient-elles pas soulagées, de réaliser que nous les aimons également, nous qui les accompagnons au quotidien ?

Je ne sais ce qu’elles ressentent ? … Peut être que le jour où c’est moi qui prononcerai ces mots « Au revoir maman », … peut être que ce jour là, je saurai ! 

la-solitude-

"Désespoir" de Baron

"La solitude" de Jonathanphoto

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Commentaires
A
Merci. <br /> <br /> Ce ne fut pas un texte facile à écrire, ... et il est encore difficile à lire pour moi également !<br /> <br /> Perdre ma maman ou bonne-maman est impossible à imaginer. Voilà pourquoi je me révolte parfois sur les paroles de Lorraine qui semble accepter cette réalité avec une sagesse que je ne pense pouvoir un jour atteindre ;-) <br /> <br /> Je ne sais pas faire un deuil. Je n'accède jamais à la phase d'acceptation. La souffrance ressentie continue à me poursuivre au fil des mois et des années, avec certes, une intensité amoindrie, mais une réalité bien ancrée. Je ne peux parler du départ de mon grand-père sans verser une larme, .. et le voilà parti depuis plus de 20 ans !
L
C'est tellement difficile d'accompagner ces familles. Parfois, il est vrai que nos larmes se mêlent aux leurs et il n'est pas rare que l'on s'enfuie dans un endroit clos pour les cacher. Parfois, je me sens coupable d'avoir du chagrin, car il ne peut être qu'incomparable face à celui qu'éprouve les familles. Et pourtant, en travaillant 8h00 par jour auprès d'eux, on ne peut que finir par s'attacher, et quand ils partent ressentir un grand vide. Mais je sais que je travaille en maison de repos, je sais que c'est inévitable. Et comme tu le dis si bien, mêler nos larmes à celles des familles prouvent qu'ils ne sont pas que des numéros de chambres pour nous, mais bien des êtres attachant et touchant,... comme nous tous, ils sont des adultes auxquels on s'attache. Et il est clair que ce que l'on voit dans notre travail nous renvoi souvent à des éléments de notre propre vie. Merci de nous rappeler à quel point ce milieu est tendre et riche en émotion. Continue à écrire!!!
M
Nos parents nous manquerons tout le reste de notre vie. Parce que tu es chaque jour confrontée à la vieillesse et à la mort, tu le sais déjà et tu l'appréhendes. C'est la vie, ai-je envie d'écrire. Parce que pour qu'il y ait mort, il faut qu'il y ait eu vie. Alors, faisons que celle-ci soit la plus belle, la plus riche possible, que nos liens soient les plus forts, ce qui renforcera la souffrance au moment du départ, mais qu'ils soient aussi les plus riches de souvenirs heureux, ce qui aidera à apaiser la peine. <br /> <br /> Ta sensibilité est belle et ta force est grande. Je suis fière de toi, ma chérie.<br /> <br /> Je t'embrasse.<br /> <br /> Maman
B
oui, pleurer ensemble peut soulager plus fort encore<br /> <br /> oui, c'est toujours trop tôt<br /> <br /> (et Lorraine, ne parle pas d'un au revoir, bonne-maman<br /> <br /> ce n'est pas moins déchirant<br /> <br /> l'idée me fait de la peine même à moi qui ne suis pas ta petite-fille ;-))<br /> <br /> vingt ans que ma grand-mère est décédée<br /> <br /> et elle me manque encore tous les jours
I
Les familles qui vous ont vu à l'oeuvre savent très bien que vous n'êtes pas indifférentes, que leur maman n'était pas un numéro, une "cliente". Elles devinent les larmes que tu retiens, parce qu'il faut garder la tête froide, être présente pour écouter, renseigner, aider. Il y a des directrices de maison de repos froides, indifférentes parce qu'elles en ont trop vu et se dissimulent derrière une carapace. Ton texte est déchirant. Il fait mal et en même temps il réconforte. Parce qu'il montre le quotidien d'une maison de repos en toute simplicité, en toute sincérité. Parce qu'en te racontant tu "les" racontes, et si tu dois, comme eux, affronter la mort, tu décris aussi la vie . Tu es celle qui adoucit par sa présence, par son accueil, ces enfants orphelins à plus de 60 ans et qui pleurent. <br /> <br /> Encore un petit mot, ma chérie. Avant de dire "Au revoir, maman", tu diras "Au revoir, bonne-maman"...Je t'embrasse.<br /> <br /> Lorraine
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