Les larmes familiales
Etre témoin de la souffrance des familles face à la perte du parent, ... je ne m’y habitue pas. Le décès de Mme G. était deviné depuis deux jours, préparé, annoncé. Il s’est produit en douceur, dans la quiétude de la chambre, en présence, en partie, de la famille. Pas de souffrance, pas de solitude, juste un sommeil qui s’éternise. En soi, ... son départ fut « parfait » (pour peu que cela existe). Un départ espéré par bien des pensionnaires, mais rarement vécu. La souffrance et la solitude sont généralement omniprésentes.
Les proches devraient être présent le bon jour, au bon moment, à l’instant I, mais rares sont ceux qui le vivent, qui le comprennent à temps. Même si le cancer est connu, le diagnostic posé, le pronostic appris, peu sont prêts à accepter le départ de l’être aimé.
Les enfants de Mme G. ont essayé d’être là, près d’elle. Habitant à l’étranger, l’une de ses filles a su arriver à temps. Pour l’autre, il ne restera que le souvenir et ce sentiment de culpabilité, injustifié, face à son retard au chevet de sa maman, face à son absence.
Leur souffrance est difficile à voir, à observer, et à accompagner. Elles sont perdues, déboussolées, tristes, … malheureuses. Elles se sentent seules tout d’un coup. Abandonnées de leur maman, de leurs racines. Orphelines … à plus de 60 ans !
Trop tôt, c’est toujours trop tôt !
L’acceptation doit se faire rapidement afin de pouvoir faire face aux démarches administratives, à l’organisation de l’enterrement. Elles doivent téléphoner, prévenir les proches, réorganiser leur planning, leur vie et leur moi intérieur. Elles nous tendent la main, nous demandent de les aider, sans un mot, par un regard empli de panique ... « Dites moi ce que je dois faire maintenant ! ».
On leur parle, on les écoute, on leur propose une tasse de café, leur explique le déroulement des événements à venir, quand les pompes funèbres vont arriver, quelles étapes elles vont vivre, quelles décisions elles doivent prendre. On demande à la psy de l’établissement de passer du temps avec elle … elle le fait, … et la famille nous remercie, … et nous redemande de l’aide, du soutien, dès le lendemain.
La nuit n’a pas effacé leur chagrin, elle n’a fait que souligner la réalité de la solitude.
Une visite dans la chambre, des papiers à récupérer, des bijoux à serrer entre les mains, une tenue à choisir. Une tenue pour accompagner leur maman lors de son dernier voyage. Un chemisier offert par une petite fille, ... une jupe sobre, ... un gilet pour ne pas qu’elle ait froid. Froid ? ….
Elle est déjà froide, couchée sur un lit de glace à la morgue.
Et cependant, elles ne peuvent s’empêcher d’encore veiller à son confort. Non, c’est sur, ... elles n’ont pas encore intégré son départ.
« Au revoir maman » lui disent-elles en sortant de la morgue, en effleurant, du bout des doigts, le drap qui lui couvre le corps … Et moi qui suis là, qui leur tiens la porte, qui les entends, qui les vois, qui les ressens. Les larmes montent, je regarde ailleurs, ... ne pas craquer, surtout ne pas craquer, … ce n’est pas MA maman, c’est la leur … Nous devons être fort pour pouvoir les aider et les soutenir. Nous devons tenir. Mais d’un autre côté, ... les familles ne se sentiraient-elles pas soulagées de nous voir ressentir autant d’émotions pour leur parent ? De comprendre qu’ils ne sont pas que des « numéros de chambre », des « résidents », ... des … « clients » ? Ne seraient-elles pas soulagées, de réaliser que nous les aimons également, nous qui les accompagnons au quotidien ?
Je ne sais ce qu’elles ressentent ? … Peut être que le jour où c’est moi qui prononcerai ces mots « Au revoir maman », … peut être que ce jour là, je saurai !
"Désespoir" de Baron
"La solitude" de Jonathanphoto