Les méandres de la Mémoire
Face à un dément, à ses questions ou angoisses irrationnelles, différentes réponses s’offrent à nous. Faut-il le conforter dans sa désorientation ou tenter de le ramener à la réalité… au risque de lui rappeler de mauvaises nouvelles.
Deux manières d’aborder Mme G.
Mm G. : Première version
- Madame, s’il vous plait !
Mme G. et son déambulateur se dirigent droit vers moi. Boitillant, le visage bouffi et fatigué, la mine déconfite.
- Oui Mme G., que puis je faire pour vous ?
- Madame, je suis venue ici avec l’école et je crois que le car est parti sans moi. Mes parents vont s’inquiéter. Il faut absolument que je rentre à la maison sinon je vais attraper une raclée de mon père.
- Ne vous inquiétez pas Mme G., vos parents sont prévenus, tente-je afin de la rassurer.
- Ah bon !
Son ton est perplexe.
- Nous les avons contactés et prévenus que vous restez cette nuit avec nous.
- Mais… vous ne pouvez pas me séquestrer comme ça. Je dois absolument retourner Rue du village. Vous ne connaissez pas mes parents, ils vont être très fâchés. Et puis, je n‘ai pas mes affaires ici, où vais-je dormir ?
- Ils ont été très compréhensifs et ont dit que vous pouviez rester. Il fait trop mauvais dehors pour rentrer chez vous aujourd’hui. Toutes vos affaires sont déjà dans la chambre 130, au premier étage. Si vous le souhaitez, les aides soignantes vous aideront à faire vos bagages demain matin. Cela vous convient-il ?
- Mais, … je n’ai pas de quoi payer, risque-t-elle, toute penaude
- Ne vous inquiétez pas vous n’en avez pas besoin. Il n’y a rien à payer.
- Oh ! Madame, c’est tellement gentil à vous.
- Il n’y a pas de problème Mme G, c’est bien normal. Si vous le désirez, le souper va être servi au restaurant dans 15 minutes.
Rassurée, Mme G. fait demi-tour, sourire aux lèvres, heureuse d’être assurée d'un repas et d'un bon lit pour ce soir et rassurée quant à la réaction possible de ses parents.
15 minutes plus tard, juste avant le repas, elle réappaaît :
- Bonjour madame On m’a oublié ici et il faut que je retourne chez mes parents à la Rue du village. Vous savez si quelqu’un peut me conduire ?
- …
Mme G. : deuxième version
- Madame, s’il vous plait.
Mme G. et son déambulateur se dirigent droit vers moi. Boitillant, le visage bouffi et fatigué, la mine déconfite.
- Oui Mme G., que puis je faire pour vous ?
- Madame, je suis venue ici avec l’école et je crois que le car est parti sans moi. Mes parents vont s’inquiéter. Il faut absolument que je rentre à la maison sinon je vais attraper une raclée de mon père.
- Vos parents ? Etes-vous sûre que vos parents vous attendent ?
- Oui, oui … ils vont être très fâchés si je ne rentre pas maintenant.
Je tente :
- Mme G, quel âge avez-vous ?
- Olala, … je ne sais pas madame. Je suis née en 1918 !
- Vous avez donc … 94 ans, Mme G.
- 94 ans ??? Je ne suis pas si vieille quand même ? No-nante – quatre-ans ? … mais je ne suis pas ridée !
C’est vrai qu’elle a une peau magnifique, toute fraîche, toute douce et toute rose. Un visage bien rempli, le regard maquillé au crayon vert et une douceur des traits qui ne témoignent pas une seconde d’une histoire longue et difficile. C’est vrai qu’elle n’a pas une ride.
- En effet, vous êtes toute jolie. Et pourtant vous avez bien 94 ans. Alors à votre avis, … vos parents ?
- Vous pensez qu’ils sont morts ? s’interroge-t-elle. Bah oui, si j’ai 94 ans, ils doivent être morts. C’est terrible vous savez, je ne m’en souviens pas.
- Il y a des choses qu’il vaut parfois mieux oublier, Mme G.
- C’est vrai… Mais quand même ! Et alors, si je ne dois pas aller Rue du village, qu’est ce que je dois faire ? s’inquiète-t-elle
- Vous pouvez rester avec nous. Toutes vos affaires sont à la chambre 130, au premier étage. C’est comme un hôtel, sauf que vous ne devez pas payer. Le souper va être servie dans 20 minutes au restaurant, ici, sur votre gauche.
Rassurée, Mme G. fait demi-tour, le sourire aux lèvres, heureuse d’être assurée d'avoir un bon repas et un bon lit pour ce soir et de ne plus devoir se soucier de quoi que ce soit.
15 minutes plus tard, juste avant le repas, elle réapparaît.
- Bonjour madame On m’a oublié ici et il faut que je retourne chez mes parents à la Rue du village. Vous savez si quelqu’un peut me conduire ?
…
Pour quel comportement opter ?
La laisser dans son angoisse, la rassurer, lui mentir, la conforter, ou la conscientiser ?
Quelle solution me conviendrait si j’étais à la place de Mme G. ?
Aucune, en réalité, car peu importe ce que la jeune femme 4 fois plus jeune que moi, toute fraîche, à peine sortie de l’école me dira.
La seule chose qui comptera,
La seule chose que je retiendrai,
Est que je ne peux rentrer chez moi.
Ni aujourd’hui, ni demain !
…
N’est-ce pas une réalité qu’il vaut mieux oublier ?
"La persistance de la Mémoire" de Dali
"La jeune fille à la perle" de Vermeer
"Autoportrait" de Dali