Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Un monde en soi
14 février 2013

Les méandres de la Mémoire

Face à un dément, à ses questions ou angoisses irrationnelles, différentes réponses s’offrent à nous. Faut-il le conforter dans sa désorientation ou tenter de le ramener à la réalité… au risque de lui rappeler de mauvaises nouvelles.

 Deux manières d’aborder Mme G.

Mm G. : Première version

 - Madame, s’il vous plait !

Mme G. et son déambulateur se dirigent droit vers moi. Boitillant, le visage bouffi et fatigué, la mine déconfite.

- Oui Mme G., que puis je faire pour vous ?

dali_persistance_de_la_memoire_1931- Madame, je suis venue ici avec l’école et je crois que le car est parti sans moi. Mes parents vont s’inquiéter. Il faut absolument que je rentre à la maison sinon je vais attraper une raclée de mon père. 

- Ne vous inquiétez pas Mme G., vos parents sont prévenus, tente-je afin de la rassurer.

-  Ah bon !

Son ton est perplexe.

- Nous les avons contactés et prévenus que vous restez cette nuit avec nous.

- Mais… vous ne pouvez pas me séquestrer comme ça. Je dois absolument retourner Rue du village. Vous ne connaissez pas mes parents, ils vont être très fâchés. Et puis, je n‘ai pas mes affaires ici, où vais-je dormir ? 

- Ils ont été très compréhensifs et ont dit que vous pouviez rester. Il fait trop mauvais dehors pour rentrer chez vous aujourd’hui. Toutes vos affaires sont déjà dans la chambre 130, au premier étage. Si vous le souhaitez, les aides soignantes vous aideront à faire vos bagages demain matin. Cela vous convient-il ? 

- Mais, … je n’ai pas de quoi payer, risque-t-elle, toute penaude

- Ne vous inquiétez pas vous n’en avez pas besoin. Il n’y a rien à payer. 

- Oh ! Madame, c’est tellement gentil à vous. 

-  Il n’y a pas de problème Mme G, c’est bien normal. Si vous le désirez, le souper va être servi au restaurant dans 15 minutes.

Rassurée, Mme G. fait demi-tour, sourire aux lèvres, heureuse d’être assurée d'un repas et d'un bon lit pour ce soir et rassurée quant à la réaction possible de ses parents.

15 minutes plus tard, juste avant le repas, elle réappaaît :

- Bonjour madame On m’a oublié ici et il faut que je retourne chez mes parents à la Rue du village. Vous savez si quelqu’un peut me conduire ?

- …

Mme G. : deuxième version

- Madame, s’il vous plait.

Mme G. et son déambulateur se dirigent droit vers moi. Boitillant, le visage bouffi et fatigué, la mine déconfite.

- Oui Mme G., que puis je faire pour vous ? 

- Madame, je suis venue ici avec l’école et je crois que le car est parti sans moi. Mes parents vont s’inquiéter. Il faut absolument que je rentre à la maison sinon je vais attraper une raclée de mon père. 

- Vos parents ? Etes-vous sûre que vos parents vous attendent ? 

- Oui, oui … ils vont être très fâchés si je ne rentre pas maintenant.

Je tente :

- Mme G, quel âge avez-vous ? 

- Olala, … je ne sais pas madame. Je suis née en 1918 ! 

- Vous avez donc … 94 ans, Mme G. 

- 94 ans ??? Je ne suis pas si vieille quand même ? No-nante – quatre-ans ? … mais je ne suis pas ridée ! 

0Vermeer_la_jeune_fille_a_la_perleC’est vrai qu’elle a une peau magnifique, toute fraîche, toute douce et toute rose. Un visage bien rempli, le regard maquillé au crayon vert et une douceur des traits qui ne témoignent pas une seconde d’une histoire longue et difficile. C’est vrai qu’elle n’a pas une ride.

- En effet, vous êtes toute jolie. Et pourtant vous avez bien 94 ans. Alors à votre avis, … vos parents ?

- Vous pensez qu’ils sont morts ? s’interroge-t-elle. Bah oui, si j’ai 94 ans, ils doivent être morts. C’est terrible vous savez, je ne m’en souviens pas.

-  Il y a des choses qu’il vaut parfois mieux oublier, Mme G. 

- C’est vrai… Mais quand même ! Et alors, si je ne dois pas aller Rue du village,  qu’est ce que je dois faire ?  s’inquiète-t-elle

- Vous pouvez rester avec nous. Toutes vos affaires sont à la chambre 130, au premier étage. C’est comme un hôtel, sauf que vous ne devez pas payer. Le souper va être servie dans 20 minutes au restaurant, ici, sur votre gauche.

Rassurée, Mme G. fait demi-tour, le sourire aux lèvres, heureuse d’être assurée d'avoir un bon repas et un bon lit pour ce soir et de ne plus devoir se soucier de quoi que ce soit.

15 minutes plus tard, juste avant le repas, elle réapparaît.

- Bonjour madame On m’a oublié ici et il faut que je retourne chez mes parents à la Rue du village. Vous savez si quelqu’un peut me conduire ? 

556054_N8C7182XD48G3JJ58FXR33GWZI15MS_salvador_dali_autoportrait_mou_avec_du_bacon_frit_1941_H205330_LPour quel comportement opter ?

La laisser dans son angoisse, la rassurer, lui mentir, la conforter, ou la conscientiser ?

Quelle solution me conviendrait si j’étais à la place de Mme G. ?

Aucune, en réalité, car peu importe ce que la jeune femme 4 fois plus jeune que moi, toute fraîche, à peine sortie de l’école me dira.

La seule chose qui comptera,

La seule chose que je retiendrai,

Est que je ne peux rentrer chez moi.

Ni aujourd’hui, ni demain !

N’est-ce pas une réalité qu’il vaut mieux oublier ?

 

"La persistance de la Mémoire" de Dali

"La jeune fille à la perle" de Vermeer

"Autoportrait" de Dali

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Nous faisons face à cette situation tellement souvent. Il n'y a rien à faire, je ne m'y ferai jamais. Pas plus tard qu'il y a 5 min, une résidente vient me demander si sont mari vient la chercher ou si elle doit rentrer en transport en commun. Je n'ai su lui répondre... la seule chose qui est sortie de ma bouche c'est: vous dormez ici cette nuit à la chambre 432. <br /> <br /> Et la je me suis vue, dans 45 ans (si j'ai la chance d'aller jusque là), à sa place, cherchant mon mari et ne le trouvant pas. Me rappelant tout, sa voix, son visage, son odeur,... me rappelant de tout, sauf qu'il est mort... <br /> <br /> Quand trouvera t'on une réponse pour retarder cette maladie qui nous enlève nos souvenirs...<br /> <br /> Continue à écrire pour nous donner du courage... et des réponses... où des suggestions...<br /> <br /> Merci
C
Je suis à chaque fois très émue par ce que je lis ici. C'est sobre et d'un si grand respect par rapport aux personnes dont tu parles. Quel beau métier vous exercez là ... Mais cela demande je crois beaucoup d'empathie et aussi de patience et doit souvent poser question quant à la réponse à apporter .Quand ma mère de 95 ans m'a demandé l'été dernier (alors que je la quittais pour faire des courses ) si j'allais faire mes courses de Noël.Je lui ai répondu: "oui". Je ne voulais pas lui faire prendre conscience qu'on était au mois d'août. Selon moi cela n'avait pas d'importance.<br /> <br /> Souvent par contre quand elle me dit et elle me le dit souvent:"Cela dure" je me demande si elle pense à la mort qui tarde à venir ou si par contre c'est son rétablissement à un état d'indépéndance qui tarde à revenir.
B
en effet, et comme famille non plus on ne sait pas ce qui est le mieux, on a beaucoup de doutes sur le meilleur comportement à avoir et on sort chaque fois de là bouleversé<br /> <br /> merci pour ces petits portraits pleins de tact
I
Je me rends de plus en plus compte combien il faut de coeur et de doigté pour assumer ton rôle dans une maison de repos. Quelle solution est la meilleure? Je pense que tu as expérimenté les deux...et qu'un quart d'heure après rien n'a changé. Mme G restera convaincue qu'elle doit rentrer à la maison et qu'elle a vingt ans, ou moins...Que de détresse! ..<br /> <br /> Lorraine
A
Comme toujours, terrible et tellement juste !
Un monde en soi
Publicité
Un monde en soi
Newsletter
Archives
Visiteurs
Depuis la création 68 761
Publicité